[
Citoyenneté Politique
à l'Échelle de la Planète ]
Actions~Politiques~sur~le~Web
Adrien Sina
(Performance au CICV - Vallée des Terres Blanches, Avril
97)
Fragment 1.
l'oeuvre humaine face à la mort géographique
J'ai été invité ici pour parler d'une série
de réflexions que je mène autour des questions d'envergure
planétaire, qui se traduisent par des actions sur le réseau,
dont le "Parlement Virtuel des Peuples et des Minorités".
Pourquoi? - Parce que dans toute structure démocratique,
il y a une organisation exécutive, comme les États
ou les Gouvernements et de l'autre côté il y a un
contre-pouvoir qui l'équilibre par la représentation
des minorités, comme les Parlements, les seuls endroits
où la pluralité des peuples peut être représentée.
Au niveau de la Planète, il n'y a pas cette structure.
L'Organisation des Nations-Unis est une juxtaposition d'États
qui ne représentent souvent même pas leurs peuples
et encore moins leurs minorités. Il y a là une limite
à l'efficacité d'une Organisation telle que celle-ci.
Bien sûr qu'elle est utile mais ce n'est pas suffisant,
parce que la voix de Millions de personnes ne peut être
portée que si elle a une représentation réelle.
Ce projet juridique sous le nom de "Matrices d'une Éthique
Planétaire" amorce en fait une série de réflexions
sur tous les Vides Juridiques qui existent et qui empêchent
l'expression de la parole de tous et qui obligent certains à
avoir des actions violentes alors que normalement, au niveau de
la Planète, si ce n'est pas au niveau de chaque pays, il
faudrait que l'on puisse se faire entendre lorsqu'on défend
des Causes Justes et Légitimes.
La question n'est pas uniquement celle de l'expression, d'une
prise de parole, mais celle d'un enjeu Politique. Qu'est-ce qu'un
enjeu politique? - A partir du moment où on prend l'avis
des personnes, des citoyens au sérieux, on leur donne un
droit politique. Qu'est-ce que c'est ce droit politique? - C'est
un droit de participation aux décisions qui touchent au
destin de la Planète. Cette participation n'est demandée
à personne, et encore moins pour ce qui concerne les enjeux
de mutation qui ont lieu aujourd'hui. Les mutations technologiques,
les hégémonies technologiques, les hégémonies
financières et monétaires qui nous gouvernent...
tout ceci a lieu dans un monde virtuel que l'on appelle la Ville
Virtuelle.
Pourquoi il y a du chômage, pourquoi il y a des licenciements,
des sous-emplois et une dévaluation totale de la notion
du travail? Ce n'est pas parce que quelques chefs d'entreprise
l'ont décidés, mais parce que toute une série
de mutations organiques à l'échelle de la Planète,
remettent en question l'ensemble des schémas d'organisation
de nos sociétés. Lorsqu'on a une vision de la Communauté
Humaine à l'échelle de la Planète, on voit
une société qui pulse, qui se distord, qui va aussi
bien vers sa ruine que vers une forme d'intégration, de
recyclage, de renaissance, de réidentification de ses pré-déterminations
génétiques, organiques. Cependant, une question
fondamentale demeure misérablement absente dans la réflexion
sur les nouvelles technologies, ou face à la mondialisation
de l'économie: comment peut-on agir, quelle est notre place
dans tout ceci, quelle action peut-on espérer mener?
Ensuite, il y a la question du mode de l'habiter Humain: l'architecture,
la ville. Lorsque l'on porte son attention sur une vision de la
Planète à grande échelle, il y a les paysages,
il y a les montagnes, il y a des océans, il y a les villes,
il y a les guerres, il y a les famines, tout ceci coexiste, tout
ceci définit une Habitation Planétaire, aussi bien
les bidonvilles, aussi bien les quartiers d'affaire, aussi bien
les quartiers riches, aussi bien les micro-villes hyper-surveillées
- comme on en voit aux États-Unis, où les enfants
jouent dehors et peuvent le faire alors que dans la ville réelle
ils ne le peuvent pas parce qu'il y a la violence, le crime -
aussi bien les zones de non-droit qui recouvrent des pans entiers
de la Planète que les quelques isolats de droit où
se ressert le reste. Tout ceci forme l'Habitation Humaine, le
sans-abri qui est dehors, aussi bien que celui qui a un toit,
celui qui est dans son avion, celui fait de la spéculation
virtuelle sur le réseau, celui qui rencontre d'autres personnes
à travers le réseau, tout ceci fait partie de la
mutation de l'Habitation des Hommes.
Cette habitation est si peu portée aujourd'hui par ces
notions classiques d'édifices, d'architecture ou de ville.
Il faut penser à d'autres types de lieux immatériaux,
sans site, que l'on ne peut réellement appeler virtuels,
parce que nous sommes petit à petit amenés à
passer plus de temps dans ce type de lieu, que dans les lieux
matériels du quotidien. ce sont donc deux mondes indissociables
qui vont co-habiter ensemble. Or, le passage d'un monde à
l'autre, n'est même pas pensé aujourd'hui. C'est
le travail de qui? - C'est le travail des sociologues, des philosophes,
de tous ceux qui pensent, mais c'est aussi bien le travail de
tous les citoyens. Et là, il y a un enjeu de Citoyenneté
Politique à l'Échelle de la Planète: il faut
que tous les Hommes, tous les habitants de la Planète aient
accès à cette reconnaissance de leur place au sein
de la civilisation humaine et à cette participation aux
décisions qui concernent notre futur. Tout ceci n'existe
pas. Par quelle voie les minorités peuvent-elles s'exprimer
aujourd'hui? - Uniquement le terrorisme. Par quelle voie les ouvriers
que l'on licencie peuvent s'exprimer? - Par la grève, mais
lorsqu'on est licencié à sert la grève? Est-ce
qu'il y a une grève des chômeurs?
Toutes ces questions dérivent d'une mutation qui nécessite
une redéfinition de l'ensemble des structures politiques
à l'échelle de la Planète pour que toutes
les personnes humaines puissent s'exprimer dignement, c'est à
dire de façon non-violente et surtout de façon utile.
Le droit à l'expression est un fait acquis en démoctratie,
mais que dire si cette parole n'est portée par aucun pouvoir
politique, si cette parole n'est portée au sein d'aucune
structure réelle qui rassemble les points de vues de la
philosophie, de l'art, de la citoyenneté, de l'entreprise,
de tous les échelons et de tous les lieux de la vie sur
la planète. Tous ces paramètres, il faut les mettre
ensemble, il faut dire que c'est cela l'Habitation Planétaire,
c'est cela notre destin, et ce, non pas en termes de discontinuité
ou de disparité, mais en terme de coexistence. Ce n'est
pas parce que l'autre qui est ailleurs, a moins de moyens que
moi, que là il y a une fracture. Il n'y a pas de fracture,
la fracture sociale est une escroquerie de la parole. Elle n'existe
pas. (applaudissements). Lorsqu'on regarde dans les yeux d'un
sans-abri, nous sommes les mêmes humains, où est
la fracture? La fracture est urbaine, politique, architecturale,
la fracture est dans la géographie des richesses non-partagées.
Il y a une notion de Mort Géographique aujourd'hui. Cette
Mort Géographique a été amorcée par
la virtualisation des nouveaux paramètres de l'Habitation
Humaine.
Une partie, une partie essentielle des richesses des activités
humaines a lieu dans les réseaux virtuels. Tout le monde
sait qu'il y a chaque jour plusieurs trillions de cyber-dollars
qui circulent virtuellement d'un marché à l'autre,
c'est de l'argent qui ne correspond souvent à aucun phénomène
concret. Je ne suis pas contre l'argent, je suis contre l'absence
de réflexion théorique sur l'articulation entre
les Mondes: le monde des ethnies, le monde de la famine, le monde
de la richesse, ce sont des mondes différents, bien sûr,
mais ces mondes doivent cohabiter, et il faut qu'au sein de la
Planète on puisse dire qu'il n'y a pas de fracture, et
que des choses différentes peuvent co-exister et l'architecture
de cette co-existence est un débat Politique, est un enjeu
de réflexion philosophique.
Ce n'est pas un débat qui se résume à dire
oui ou non à question globale. Il faut une construction
de fond d'une démocratie à l'échelle de la
Planète: selon quelles règles du jeu cette co-existence
va avoir lieu?
La Mort Géographique en question provient donc du fait
que l'ensemble des actions humaines liées aux richesses
et au savoirs se passe aujourd'hui beaucoup plus dans la ville
virtuelle que dans la ville réelle. Bien sûr qu'il
y a la ville réelle; on peut s'amuser, on peut sortir,
on peut avoir des contacts sensibles, sensuelles dans la ville
ordinaire, mais l'ensemble des mouvement de savoirs, de technologies
et de capitaux, se passe dans cette ville-là, et cette
ville signe la mort géographique de la planète et
avec elle la mort de tous les sites où l'oeuvre humaine
avait lieu. L'oeuvre humaine c'est quoi? - C'est l'accomplissement
de la vie sociale des Hommes, c'est leur utilité réelle
ou potentielle. Un ouvrier qui travaille depuis trente ans dans
une usine accompli une oeuvre. Cette oeuvre a de la valeur.
Si la notion de travail est obsolète, s'il faut la repenser
à la racine, par rapport aux nouvelles technologies, par
rapport aux nouveaux paramètres organiques de la Civilisation
et de la Planète, il faut dire que cette oeuvre existe,
que la femme au foyer qui élève des enfants accompli
une oeuvre, ce n'est pas parce qu'elle ne cotise pas à
la sécurité sociale, ce n'est pas parce que son
action n'est pas gérée par le code du travail, le
code du licenciement, que ce n'est pas du travail. Au milieu des
traditions et des cultures anciennes, il y a des peuples sur la
Planète qui accomplissent une oeuvre fondamentale dans
l'histoire de l'humanité. Cette oeuvre n'est pas considéré
comme du travail, c'est considéré comme du rien,
et on massacre des ethnies, on massacre des civilisations en vertu
de cette non-considération. Lorsque je parlais de l'enjeu
de la Citoyenneté Politique à l'Échelle de
la Planète, c'est ce fondement de valeur: il faut que la
vie humaine, où qu'elle soit ait une et même valeur
aujourd'hui, et ce n'est pas le cas.
La mort Géographique à l'échelle de la Planète,
signe donc, la mort des sites dans lesquels l'oeuvre humaine s'accomplissait.
Premièrement l'oeuvre agricole: la mort des sites agricoles.
Nous avons ce problème en Europe, la surproduction, les
destructions, les ravages. Un système dans lequel les agriculteurs
abandonnent leurs champs aux plus gros agriculteurs qui toucheront
encore plus de subventions. Tout ce système de surinvestissement
est totalement injuste et déréglé.
Deuxièmement l'oeuvre industrielle: de vastes sites, même
des plus récents tombent en friche ou sont menacés
de fermeture. L'outil industriel manipulé par la main n'est
plus rentable. Tout ceci est fini. Alors Où l'humain, Où
l'oeuvre humaine peut s'accomplir? C'est là tout un enjeu.
Quel sera le déclencheur de l'articulation d'un monde vers
l'autre, de cette articulation de mutation de plusieurs mondes
qui avant coexistaient? .... Parce qu'avant, au XVIIIe siècle,
au XIXe, dans l'antiquité, durant toutes les époques
de l'Humanité, le monde de la pensée, le monde de
la mythologie, le monde de la science, le monde de la vie des
Hommes, le monde de la tragédie, le monde de l'art, le
monde des mathématiques vivaient en symbiose ensemble.
Les géomètres Grecs discutaient sur le sable dans
les marchés des problèmes mathématiques,
et avec eux les citoyens ordinaires. Il y avait une participation.
Cette notion de Politique, de Citoyenneté, de Participation
à la vie de la cité et de la Planète, est
une obligation qui est aujourd'hui totalement oubliée.
C'est une obligation, non pas des peuples mais de ceux qui ont
le pouvoir en main, si petit soit-il ce pouvoir.
Je parlais donc de la Mort Géographique. Cette Mort Géographique
signe de fait la mort des sites où l'oeuvre humaine s'accomplissait.
Il y avait aussi ce site où la Loi avait un sens et qui,
lui aussi, est moribond ou menacé de mort. Antigone, Hécube,
Médée, toutes ces femmes qui ont été
chassées, humiliées parce qu'elles ne se soumettaient
pas aux lois de la Tyrannie, c'est-à-dire aussi bien aux
lois des humains, des mortels qu'aux lois des divins, aussi bien
aux lois des tout-puissants qu'aux lois de l'histoire qui depuis
la mémoire des civilisations obligent de générations
en générations, à obéir à une
parole inécrite, à un "je-ne-sais-quoi":
Dans le film de Chris Marker, "Level Five", si vous
l'avez vu, il y a un moment extrêmement émouvant
où Chris Marker repense la problématique du suicide
et c'est au sujet des suicides collectifs au Japon vers la fin
de la Seconde Guerre Mondiale: il y a une femme qui se projette
en avant, avance vers la falaise pour se jeter dans le vide, et
il y a une caméra d'archives qui suit son mouvement. Un
dernier moment avant de se jeter dans l'abîme, son regard
croise le regard de la caméra, c'est-à-dire le regard
des générations futures, et Chris Marker se pose
cette question: est-ce que s'il n'y avait pas cette caméra
cette femme se serait suicidée? Mais en fait il se dit
que cette question n'est pas à poser parce que de toute
façon nous avons tous une caméra cachée dans
la tête, c'est-à-dire que nous répondons même
devant notre mort, même devant nos actions de conviction
à quelque chose qui nous dépasse, qui va au-delà
des jugements des uns et des autres sur nous.
Nous nous moquons complètement de la manière dont
les autres pensent à nous, mais nous avons à réponde
à des instances supérieures. C'est cela la voix
d'Antigone. Lorsqu'elle a enterré son père contre
l'édit du Tyran Créon, elle n'obéissait à
rien d'autre qu'à une voix qui était au fond d'elle-même.
Et lorsque je parle de cette Citoyenneté Politique à
l'échelle de la Planète, cela a besoin d'un moteur,
d'un remuant intérieur, de quelque chose qui nous pousserait
vers cette résistance, et cette chose c'est l'Éthique,
non pas la morale imposée par une religion, mais une réflexion
sur ce qu'est notre destin, ce que nous voulons faire de notre
vie, de la vie de notre voisin, de notre prochain, de cet Autre,
de cette Altérité qui est si semblable à
nous.
Nous pourrons avancer vers une réflexion sur le sens de
la Loi, que si nous avons ce remuant intérieur qui nous
pousse, et ce remuant n'obéit à aucune loi, à
aucune imposition autre qu'à une Éthique que nous
avons au fin fond de nous-mêmes.
Fragment 2.
A propos de Quasimodo Bossu de Notre-Dame.
Cette petite bestiole est devenue un symbole.
C'est un Français, le "Bossu de Nôtre-Dame".
Un Français inventé par Victor Hugo, fabriqué
en Chine, exploité par les États-Unis.
Cette petite bestiole est aujourd'hui l'enjeu d'une série
de tractations de droits d'auteur avec un autre personnage mythique
qu'est Walt Disney. Elle est donc partagée entre deux monde,
et s'est brusquement retrouvée au milieu de procédures
juridiques macro-planétaires mille fois plus grandes que
sa taille. Comme quoi il n'y a rien de local, tout ce qui est
local est global. Les faits de notre quotidien, si infimes soient-ils,
sont souvent l'enjeu de négociations planétaires
d'envergure... Il y a des peuples, tels par exemple les peuples
du Chiapas, qui mènent une action Politique pour dire que
notre questionnement, notre obligation, notre volonté,
notre réflexion, ce n'est pas uniquement pour nous servir,
ce n'est pas uniquement pour que nous ayons une place meilleure
dans la société, mais c'est pour que toutes les
Minorités puissent s'intégrer aux prises de décisions
qui touchent aux enjeux de leur avenir. Et cette "petite
chose" se réfère à tout ce mouvement.
Chacun à sa place, habite dans un monde totalement global.
Je peux être licencié du jour au lendemain juste
par des mouvements de capitaux qui dépassent le monde petit
et local dans lequel je vis. Même si je n'ai pas de la technologie
sous la main, je n'ai encore d'ordinateur dans mon entreprise,
je peux disparaître du jour au lendemain pour des raisons
liées aux phénomènes de mutations macro-planétaires,
n'est-ce pas? - (la marionnette) Oui oui oui oui oui! non non
non non non!
Adrien Sina
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